Derrière des termes rébarbatifs et obscurs, les 232 pages publiées par la SEC vont jouer un rôle majeur pour la transparence et la lutte contre les inégalités…
"Section 1504 de la loi Dodd-Frank"… c'est un peu barbare en effet ! Pourtant, cette section de la loi de réforme de Wall-Street va fournir aux citoyens des quatre coins de la planète une arme de taille pour lutter contre la corruption et ses ravages : l'obligation de transparence.
Aujourd'hui, 1,5 milliard de personnes vivent avec moins de 2 dollars par jour dans les pays riches en ressources naturelles. Pour ces populations, impossible de savoir où vont les sommes colossales générées par l'exploitation du pétrole, des minerais et du gaz. Trop souvent, une poignée de dirigeants corrompus préfèrent s'enrichir plutôt que de financer des services essentiels aux populations : éducation, santé… Certaines entreprises, soucieuses de ne pas perdre des marchés juteux, entrent dans ce cercle vicieux de la corruption qui entretient injustices et pauvreté.
Avec la loi Dodd-Frank et les règles d'application édictées par la SEC, les choses vont changer. Les entreprises pétrolières, gazières et minières cotées en bourse aux Etats-Unis devront, dès 2013, révéler les paiements qu'elles versent aux gouvernements de tous les pays dans lesquels elles opèrent. Concrètement, cela signifie qu'en quelques clics le grand public pourra savoir combien Total verse au gouvernement angolais, par exemple. Ils pourront ensuite, par comparaison avec les budgets de l'Etat, avec ceux d'autres pays, déterminer si ces montants sont "normaux" ou s'il y a raison de suspecter des cas de corruption.
Permettre aux citoyens d'accéder à ce type d'information, c'est leur donner le pouvoir de demander des comptes aux gouvernements et aux entreprises ! Pour être plus clair, l'étau se resserre sur les gouvernements et entreprises corrompus.
En quoi est-ce une victoire des ONG ?
C'est l'aboutissement de 10 ans de campagne de la plate-forme "Publiez ce que vous payez" pour plus de transparence ! D'autant plus que ces règles auraient dû être publiées il y a deux ans déjà, mais leur parution a été retardée. Deux ans pendant lesquels les pressions et obstructions exercées par le lobby pétrolier ont été assourdissantes. Oxfam s'est fortement mobilisé pour dénoncer de telles pressions et alerter le public.
Mais c'est aussi une victoire pour les investisseurs et les entreprises vertueuses. Comme l'a indiqué le Financial Times dans son éditorial du 22 août, au lieu de grommeler les entreprises devraient se réjouir de ces nouvelles règles qui permettront un climat des affaires plus sain.
Pour bien comprendre en quoi ces règles vont avoir un impact positif, il faut regarder de plus près trois points essentiels :
- Premièrement, aucune exemption ne sera accordée. C'est une énorme victoire car aucune entreprise ne pourra, sous aucun prétexte, refuser cette exigence de transparence.
- Deuxièmement, la SEC fixe un seuil de 100 000 dollars à partir duquel les paiements devront être révélés. On est loin des 1 millions de dollars proposés par certains lobbies !
- Enfin, la SEC confirme que les données doivent être détaillées projet par projet. Si elle ne définit pas le terme projet de manière précise, ce que l'on peut regretter, elle donne des lignes directrices très instructrices. Elle attire en effet l'attention sur la définition la plus courante du terme dans l'industrie, à savoir les accords juridiques sur lesquels reposent les paiements (contrats, concessions).
Ce vote de la SEC ne concerne que les Etats-Unis, pourquoi est-ce aussi une bonne nouvelle sur le plan mondial ?
C'est une bonne nouvelle pour deux raisons. D'une part, comme je le disais précédemment, cette obligation de transparence s'applique à toute entreprise du secteur extractif dès lors qu'elle est cotée aux Etats-Unis, qu'elle soit américaine ou non. Cela signifie que des grands groupes européens, tels que Total, BP ou Shell, devront se plier à ces exigences de transparence. Selon le régulateur boursier américain, la loi s'impose à 1 100 entreprises, dont environ 90% des compagnies pétrolières internationales. C'est le battement d'aile du papillon : une loi boursière américaine qui aura des conséquences à l'autre bout du monde sur la vie quotidienne des populations pauvres bien que vivant sur des terres qui regorgent de richesses !
D'autre part, cela préfigure de nouvelles règles dans d'autres pays, notamment en Europe. Les institutions européennes discutent depuis plusieurs mois de deux directives très proches de la loi Dodd-Frank. Le Parlement européen devrait se prononcer dès cet automne. Il ne peut ignorer le précédent américain, qui a donné le la : aucune exemption ne devrait être accordée aux entreprises, toutes doivent être soumises à la transparence. Il doit aussi s'assurer que les données soient suffisamment précises : il est impératif que la transparence soit faite sur chaque projet d'extraction afin que les populations sachent précisément combien les "deals" entre entreprises et gouvernements rapportent.
L'Europe devrait aussi étendre les obligations de transparence au secteur forestier et aux entreprises non cotées, ce que propose d'ailleurs la Commission européenne. Enfin, il est possible d'aller plus loin et de lutter également contre l'hémorragie fiscale dont sont victimes les pays du Sud : en allongeant un peu la liste des informations qui doivent être publiées par les entreprises, les cas de fraude et d'évasion fiscales pourraient être détectés.